8. La trachée artère


Envasée dans un entonnoir d'air tout en longueur, elle porte les papillons d'oxygène au réservoir des poumons.

Voyez son armée d'alvéoles parfaitement serrées les unes contre les autres comme les cadavres dans leur fosse commune.

Un bon Dieu est passé par là un jour précoce, déguisé en souffle.

Tronc d'arbre inversé déployant sa fronde vers le bas, la trachée artère se sait la tête la première (tout feuillage en terre, toute racine en ciel), orme creux où les mots —une sève translucide— remontent presque sans gravité sous forme de flocons.




Addendum: La trachée artère est le conduit mesurant entre dix et onze centimètres de longueur qui permet à l'air inhalé ou exhalé, vers ou à partir des poumons de circuler à l'intérieur et à l’extérieur du corps. Ce tube cartilagineux (qui relie le larynx aux bronches) se divise en deux une foise arrivé aux poumons, pour y donner lieu à une arborescence étendue, responsable d’assurer le trafic d'air à l'intérieur et en-dehors de ces derniers.



16. Le mamelon


Cette fleur parfaitement ronde, repassée sous le poids de tant d'amour, est le double oeil aveugle que le corps fabrique pour y attirer la proie imprudente.

Contrairement au coeur —ce roi qui préside au conseil des organes avec le tapage de son tam-tam— les mamelons sont une paire de corolles inutiles, aveuglées sans cesse par la pudeur, sauf quand le linceul (drap par nature) devient étoffe nuptiale : commence alors la procession de flammes minuscules, girouette enchantée d'une flambée fugace, et ces deux yeux sans pupille condamnés à l'obscurité du soutien-gorge se retrouvent sitôt éclairés par le flot d'une main.

Incendie, dissimulation, tremblement. Ou peut-être la douce sève de la mère, un bon jour, viendra-t-elle racheter ce duo en rose de sa vocation manquée de fleurs aplaties par la caresse.




Addendum : Le mamelon est une petite protubérance sur la partie centrale du sein, autour duquel sont disposés entre quinze et vingt conduits lactifères. Il est entouré d'une aire de peau sensible ayant une pigmentation plus obscure, connue sous le nom d’aréole. Son seul rôle physiologique est d’approvisionner le nouveau-né en lait jusqu'au moment du sevrage.

Les mamelons sont disposés en rangée, deux par deux, chez toutes les femelles de mammifères.



27. L'os iliaque


L’os de la hanche, papillon pierreux bien au milieu de son étui.

Dieu est un collectionneur chevronné, et à l’aide d’épingles invisibles, il l'a fixé à la table du corps, le recouvrant de peau pour y dissimuler son petit assassiné et que seuls les radiologues puissent le voir derrière le cristal opaque de la peau. Depuis lors —des millénaires après la chasse au filet au beau milieu de champs fleuris— nous portons tous cet insecte ailé entre le nord et le sud de notre corps, immobile dans ses habits de calcium, charnière géante qui fait se rejoindre le double grand trochanter et le serpent des vertèbres lombaires.

En guise d’ailes l'os iliaque et l'ischium, en guise de tronc le sacrum —avec ses quatre paires d'yeux aveugles—, cette phalène pétrifiée ne saurait porter malchance, mais plutôt la grâce de ceux qui savent marcher


Addendum: Sur toute sa surface, le gros os de la hanche, dénommé également os iliaque, est une véritable merveille de l’ingénierie corporelle. Les orthopédistes le considèrent encore plus résistant que le béton.

Cet os aplati tire son nom de l’iléon, nom que l’on donne au dernier tiers de l’intestin grêle.



98. La thyroïde


Papillon aux ailes charnues avec ses prétentions de guerrier —le mot grec thyreoeides ne signifie-t-il pas « en forme d'écu » ?—, si petit —que sont trois centimètres face au poumon royal, au foie si imposant, au long métier de tisser de la peau qui file son grand tissu épidermique ?— que tu ne sembles palpable que pour des cartographes de la matière inexistants, tu es le seul lépidoptère dont les voiles latérales —non pas emplumées, mais faites en papier de Chine, ambassadrices de la légèreté— s’appellent des « lobes ».

Quel nom donner à cette double voilure attachée du grand mât entourant partiellement la trachée artère: un duplicata de misaine, de petit hunier, de clin foc, de brigantine, de voile d’étai de flèche ou de marquise ? Parmi tous ces attirails, qui es-tu, petit voilier à six pattes agrippé au cou en son éclairage le plus obscur, épouvantail veillant sur le violon des cordes vocales ?

À peine trois centimètres, et pourtant tu ourdis, en ton solage minuscule, le plancher et les murs d'un véritable laboratoire de chimie : tes magiciens infimes y fabriquent jour et nuit ces potions déversées dans les éprouvettes des veines, qui ordonnent le froid et la chaleur, la vitesse et la lenteur. Il n’y a que toi pour diriger avec un tel brio la marche silencieuse, mettre de l'ordre au régiment des organes.


Addendum : La thyroïde a été identifiée pour la première fois par l'anatomiste Thomas Wharton en 1656; pourtant, la thyroxine —principale hormone sécrétée par cette glande endocrinienne— n'a été isolée qu'au milieu du XIXe siècle. Elle est située dans la partie antérieure du cou, devant les vertèbres C5 et T1, juste au-dessous de la soi-disant pomme d'Adam. Malgré sa petite taille (chez un adulte, elle ne pèse qu’entre 15 et 30 grammes), la thyroïde est chargée de régler la vitalité générale d'une personne (c'est-à-dire, la production d'énergie dans le corps), ainsi que d’induire les mécanismes de la croissance. Ses deux lobes (situés des deux côtés de la trachée artère et unis par un isthme) simulent, par leur forme, un papillon.



99. L'appareil de Golgi

Là où finit le télescope, le microscope commence.

Lequel des deux a la vue la plus grande ?

Victor Hugo

Les misérables

Un labyrinthe rouge, le coeur fragmenté du cytoplasme obéissant au dieu des choses microscopiques.

Qu'aurait bien pu dire de toi le drapier Leeuwenhoek, rêveur de la biochimie à son insu, lorsqu’il a vu pour la première fois dans l'Histoire des bactéries et animalcules dans une goutte d'eau ? Même si à l'époque on avait su que tu existais, notre commerçant en tissus aurait quand même pu être accusé par ses détracteurs

« Enfermez-le, condamnez-le au bûcher, il a une imagination débridée et il défie —presque une hérésie—, la portée, l'humilité digne de foi des yeux que le bon Dieu a procuré aux hommes !». Se seraient-ils exclamés —comme l'avait fait notre cher Hollandais, penché sur sa lentille miraculeuse— que la plus petite partie du corps porte aussi en son intérieur des corps encore plus minuscules ? Qui aurait pu dire à notre fabricant de tissu que dans une seule goutte de sang s’échangent produits chimiques et poisons, antidotes et lipides, multipliant ainsi l'alchimie incessante de la vie ? Qu'aurait-il chuchoté après avoir vu l'appareil de Golgi ?

Chaque cellule porte en son ventre une horticulture secrète —illustre ensemble des femelles du troupeau (car les fleurs sont toujours des dames), un jardin de roses écarlates. C’est là qu’elle a égaré sa spirale, si minuscule que même avec son microscope, Leeuwenhoek n’y aurait pas cru.



Addendum : Partie fondamentale de la biologie moléculaire, l'appareil de Golgi est l'organite central d'un réseau cellulaire si actif qu'un corps humain adulte produit quotidiennement trois cent milliards de nouvelles cellules et dispose de cent milliards de cellules, dont la majorité a un diamètre inférieur à un dixième de millimètre. Tant les cellules végétales que les cellules animales portent en leur intérieur ces petites structures en forme de bâtons courbes parallèles, dont la fonction est la glycosylation (c'est-à-dire, le processus chimique par lequel un hydrate de carbone est lié à une autre molécule) des protéines et des lipides, ainsi que la synthèse des polysaccharides de la matrice extracellulaire. Cet organite microscopique présent dans les cellules tire son nom de Camillo Golgi qui, avec d'autres chercheurs, a reçu le Prix Nobel de Médecine en 1906 pour ses recherches en microbiologie cellulaire.



30. Le crâne


Le corps, peut-être, le produit comme l’huître produit le nacre, étui de marbre cacheté, casse-tête parfait d’os recourbés et collés à l’endroit des anciennes sutures pour y protéger la chair molle de l’encéphale, son obscure nomination (cette terre grise où poussent les idées à partir des graines enterrées par le bon Dieu dans les têtes d’Adam et Ève, mais des graines de quoi, de mots, de lettres, d’images ?)

Boîte noire couverte d’une humble carapace de calcium dont la seule fonction est de servir de barrière, le crâne est au casque d’une armure ce que le poumon est à la cote de maille. Il ne saurait montrer le trésor scellé dans son impénétrable obscurité, où virevoltent les pensées et peut-être (quel neurologue pourrait dire le contraire, nous ne savons pas encore où situer l’âme à même le corps !) les fleurs du tempérament, suivies de leurs impérissables dieux.




Addendum: Structure osseuse sphérique qui abrite le cerveau, le crâne a pour principale fonction de servir d’étui à cet organe vital fragile qu’est le cerveau, de la même manière que la cage thoracique sert d'armure au coeur, cerveau et cœur étant tous deux les organes les plus vulnérables du corps.

Parce qu'elle est la partie la plus évidente et la plus impressionnante du squelette, celle que nous identifions le plus facilement en voyant un squelette, le crâne est presque universellement un symbole de danger et de mort.