Royaumes

Royaumes au sommet d’animaux fous qui courent en rond, débandade ordonnée et séquentielle, sans roi ni couronne, ni sceptre ni baguette magique : seule la chair faible et ridée en son exil.

Corrige-moi si je suis dans l’erreur : l’amour est un nuage regardant la terre, l’amour est un toit qui dégoutte, qui dégoutte, qui dégoutte de sa pluie répandue à la croisée des chemins où nous devrions être toi et moi en même temps, toi et moi à la croisée numéro un, deux, trois, tous les deux ici et là-bas, en des espaces fragmentés comme toi et moi sous la coupole.

Frénésie de ta bouche dans ma main, de ta langue sur mon genou, de ton souvenir pris au lasso comme les animaux circulaires qui trottaient au début du poème.


Oui, des voiles

Il existe aussi des horloges de sang;

les gens ont l’habitude d’appeler ça le coeur

Camilo José Cela

Oui, des voiles. Ils servent à l’enrober. Comme les étamines dans la parure de la rose noire que tu es, hiver précoce, ruade de la mémoire qui me ronge.

Oui, des voiles. Ils servent à l’enrober dans des langes mystiques où le suaire de Turin trouve son double.

Tu arrives et soulèves les voiles, tu soulèves encore et encore, et juste au milieu du chou de voilure, minuscule et fragile, anémique et imbibé de ton sang le plus épais, le voilà. Tant de solitude mouille en lui, et tu le prends, si fidèle à mon image au creux de tes mains tremblantes.

Ce qui me bat en sourdine. Ce qui me vient de Dieu.


Brebis de loup

Naviguer est nécessaire, vivre ne l’est pas

Plutarque

Brebis dans ta main de loup je serai, insecte pascal qui vrombit depuis l’autre rive. Rebords de continents submergés dont tu connais les rives, que tu as déjà visités, voilé alors d’un mouchoir nuptial ou bien à découvert, que tu pressens dans le graal de tes pensées. Orée qui recule et s’élève au-dessus du sol et s’envole et se dédouble et devient un tapis magique avec des ailes d’oie sauvage. Tapis dont la frange est une rangée de clochettes en or alternant avec des grenades de couleur pourpre. Trois fois grenades à jus non comestible dans la gueule du loup qui a faim de la brebis sacrificielle que tu es dans la rupture de l’hymen, ah de quel corps, de quelle âme violes-tu à nouveau le geste de desceller la porte.

Égypte : un voyage hors du sarcophage du corps

(En Egypte, à l’époque des pharaons, on avait coutume de mettre dans les cryptes plusieurs doubles du mort pour que son âme puisse toujours retrouver sa demeure en cas où le tombeau serait pillé).


Et nous, combien de doubles avons-nous et comment l’âme saura-t-elle nous reconnaître parmi tous ces gens? Dans l’apex de ce que sème le destin sur le long ruban du temps, même toi et moi sommes du pareil au même : notre sommeil est interchangeable, c’est ta faim qui frappe à la porte de mon estomac, ma soif qui te sèche la gorge. Et si ton âme se trompait et cherchait la porte de mon corps éthérique au lien du tien? Si elle ne reconnaissait pas lequel de nos deux tabernacles la contenait avant ses acrobaties par les contrées de ta faculté de voir au-delà de la vue? Quelles coordonnées l’âme en transit identifie-elle comme étant celles de ton corps et non pas celles du mien, alors que le désir nous rend identiques et méconnaissables?

Elle doit bien chercher une marque. Quelque chose qui lui dise tout simplement : “C’est ici”.