Flottant à quelques mètres l’un de l’autre,

            reculant

dans le labyrinthe linéaire des siècles,

            ils sont soudain

                        deux invertébrés

en suspension dans les eaux premières.

Se fanera le velours des peaux vierges

(vierges car ils ne se toucheront même pas),

tombera l’or du soleil en cascade,

se brisant au contact des vaguelettes.

Lampadaires fous,

couleurs décollées des objets

traversant le ciel en cavalcade,

                                   cigales sopranos.

L’eau, suaire qui les enveloppe,

collant les corps séparés par la pudeur,

portant sur leurs dos mutuels

                        les enclumes du passé.

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The head, heaviest of flowers

La tige de son corps ployait

                        sous le bouillon d’idées

—le cœur, lui, retouchait ses sentiments—

et il penchait sur elle son visage

            comme un Narcisse

épris d’un autre visage que le sien :

ses bras deux pétales lobés par les mains,

qui tant, mais tant, auraient voulu la caresser.

Était-ce un tournesol tourné vers le soleil

ce qui lui recouvrait ainsi profil et menton,

bouche et pommettes, nez et sourcils ?

Ou bien, le poids mort de la corolle cherchait-il

à embrasser les parties basses de la femme

qui telles des ballons s’envolaient par la lucarne,

sous la Lune à 14 degrés de la Vierge ?

Darwin à l’envers : visage devenant fleur,

remontant les chaînons, et cette chambre imaginée,

                                   ces rues à minuit, ce lac,

furent un champ de coquelicots invisibles

où Dieu s’exerçait à une floriculture insensée.

 

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18:38 là où se trouve ce cœur qui roule comme la pierre de Sisyphe épousant la courbe de son ventre il tombera dans deux minutes à ses pieds mais quelle main a enlevé du coup son écorce son nécessaire revêtement pierreux pour le laisser ainsi Un fruit trop mûr une goyave trop parfumée cédant sous la pression des doigts Le ramassera-t-il à ses pieds pour le remettre à sa place en un geste furtif Personne ne doit savoir qu’il est là cet objet légèrement détraqué les ressorts un peu usés mais que des doigts étrangers sous un ciel étranger sous une lune étrangère ont remontés en le touchant à peine là où le masque blanc du poème de Keats ne se pose jamais et non pas comme dehors où il regarde par la fenêtre en se demandant s’il doit cueillir son propre cœur telle une fleur dans ce jardin lacustre qui a poussé en lui du jour au lendemain et que Dieu seul connaît Lui qui a créé les premières plantes et tracé le sentier à prendre et la route où continuer si ce n'est tourner le dos aux jasmins aux azalées aux géraniums aux callas aux hortensias aux pensées qui sont coincées —corolles et idées— dans son cœur à lui Et sur le sol l’ange lui souffle à l’oreille de le prendre On ne peut pas cueillir la lune Le ciel est un jardin d’étoiles et elle à l’autre bout du monde sait que ce cœur existe aujourd’hui Elle espère que demain ce sera fini et les larmes se seront évaporées et aura été serti ce cœur en une journée de tristesse pour lui Il observe ce cœur tombé du haut de la falaise de sa poitrine Et personne sauf lui sauf elle qui devrait prendre un avion ou un bateau pour aller le ramasser ―même si c'est la nuit des temps et ni avion ni navire n'existent encore― n’a la faculté d’apercevoir un cœur surnuméraire frère jumeau de l’autre cœur bien à l’endroit car « les heures de visite [chez le bon Dieu] étaient de 12 a 4 et il avait appelé une heure trop tard L’heure de la charité était passée »

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Une mer, énorme drap tendu entre deux terres.

            (Elle imagine les poissons sans couleur, les bateaux battant pavillon turc, norvégien, chypriote, qui la traverseront en tant que papillons envoilés, aimantés à la houle.)

            Une mer tous les jours traversée à gué par les mots, ces objets sans poids qui réalisent le miracle lacustre du Christ. Belle besogne que cette navigation par satellite —les goélettes, des bâtisses antédiluviennes ; et que dire des caravelles?— impulsée par les vents marins. La rose nautique secoue en plein air des mots sans âge, jamais ridés, boules de cristal renfermant les nuitées avec leurs jours collés à elles comme des sangsues, le jour et la nuit une convention du ciel et de sa mécanique.

            Sel et mercure en une potion écumeuse, les phrases qui vont et viennent du blanc au vert, du bleu au gris, sans jamais se mouiller.

            Une mer, nommée sur la carte en l’honneur d’un continent englouti, énorme drap tendu entre deux âmes.

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Vermeille la course du sang

à travers les arbres enchevêtrés du corps.

Et sur la tempe, un talisman minuscule,

incrusté, une nuit, à l’insu du rêveur.

(Un rêveur blanchi venu des neiges futures

accueillant dans la bulle du sommeil

un tapis pareil au canot de la chasse-galerie

flottant sous le parasol des tropiques

                        où des perroquets tout verts

survolent le reflet des poèmes). 

Vermeille la course du sang

à travers les arbres enchevêtrés du corps.